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Pour une pensée libre ?

Je ne ferai aucune citation. D’abord parce que je n’ai pas de mémoire. Ensuite, le concept lui-même ouvre des portes déjà tant battantes que ce ne semble pas nécessaire de se heurter à elles davantage et puis, une citation, une référence, même extraite des maîtres à penser, aide-t-elle jamais à se penser ? Aide-t-elle surtout à se penser dans l’expérience historique, personnelle, incommunicable, de sa propre liberté ? Liberté. C’est lâché. Voilà le mot magique, fascinant, accessible comme un donné tout en or, avec à ses côtés la cohorte de ceux qui l’accompagnent. Des poids lourds de l’humaine assomption vers sa légitimité. Donc partons de là : La liberté. Ou les libertés, déjà deux champs différents, s’ouvrant sur diverses prémisses. Gardons « LA » liberté, parce que c’est plus beau, et plus simple aussi. Parce que c’est une référence qui semble pouvoir s’utiliser comme un acquis stable faisant l’unanimité. Le point de convergence de toutes les revendications confondues, l’absolu de l’idéalisme, etc. Et ce que je voudrais avancer, les mains encore chaudes de la proximité de ma propre expérience, c’est ceci. La liberté n’existe que comme un négatif. Autrement dit uniquement comme une « anti-entité » disons, qui n’a de définition, personnelle ou collective, qu’en délimitant ce à quoi elle échappe. Je ne me libèrerai jamais que de quelque chose, quelqu’un, que sais-je, et justement je ne sais pas. C’est un mouvement, constant et certainement jamais un état. Même si on rêve sans en démordre à la stabilité des grandes salvations. Elle n’a pas de matière sauf à s’extraire de ce que nous sommes en mesure de cerner et identifier comme notre propre aliénation ou, du moins, comme notre propre chemin de halage, celui sur lequel nous tirons nos charges en en ignorant l’existence et le poids. Facile ? Allons-y, cherchons, commençons à identifier nos attaches. Le premier pas, et c’est un réel pas, une marche s’il s’agit d’oser évoquer « la » liberté c’est de s’y référer tout d’abord comme à une expérience de perte et de perte complètement personnelle, je n’ose avancer d’expérience de perte solitaire mais le pense assez fort pour qu’il s’entende. Bien-sûr on pourra poser la réalité de la répression, des répressions de tous bords mais ce n’est pas du domaine de la liberté mais des libertés, ça se politise plus aisément. La liberté, allons-y, nécessite un travail qui ne peut pas se concevoir dans une logique de la volonté uniquement, même politique. Je peux faire des pieds et des mains, lire et marcher, penser et penser, rien ne pourra me donner les clefs de ce qui pourrait, si elle existe, être ma propre liberté. D’autant que si elle existe, elle n’est que mienne, fondamentalement différente de celle de mon voisin qui lui aussi se berce aussi de son existence supposée sans savoir ce dont elle n’est pas faite. Chacun la sienne, c’est d’abord chacun la proximité, douloureuse et salutaire de ses propres limites, un saut donc sain mais peu jouissif dans les bras du principe de réalité. La liberté, la mienne n’est QUE ce principe de réalité, rien d’autre. Elle n’est QUE. Dans l’euphorie des idéaux à fort taux d’adrénaline, c’est certain que le constat est sec, voire amer. Mais c’est hélas là qu’elle se tient et que je peux espérer la tenir en m’y tenant. Rien des extases et des drapeaux flottants sur les rayons des étagères. Un rien humble et sans saveur. Hormis celle de savoir un peu mieux qui l’on n’est pas. Elisabeth Guerrier

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